Amiens peut-elle se vanter d’être la « première ville d’Europe pour son réseau de 43 bus électriques »?
Cependant, Amiens peut-elle se vanter d’être la « première ville d’Europe pour son réseau de 43 bus électriques », comme placardé sur certains bus?

Amiens a-t-elle la flotte la plus importante d’Europe? Non. Amsterdam, par exemple, a mis en service 100 bus électriques pour desservir son aéroport.
A-t-elle été la première à mettre en service des bus électriques? Non. Ces 100 bus électriques d’Amsterdam, par exemple, ont été mis en service en mars 2018, contre une mise en service courant 2019 à Amiens. Fin 2016, Eindhoven mettait aussi en service 43 bus électriques.
Le réseau d’Amiens n’est-il composé que de 43 bus électriques? Non. Les 43 bus électriques représentent le quart de la flotte, et non pas tout son réseau comme on pourrait le comprendre.
Amiens est-elle la ville d’Europe la plus ambitieuse? Non. La RATP par exemple annonce que toute sa flotte sera convertie en électrique ou biogaz d’ici 2025, tandis qu’Amiens n’annonce une conversion totale que d’ici 2038.
Cette transition émane-t-elle pleinement de la propre initiative des élus du moment, ce que l’on pourrait supposer? Non plus, comme nous l’avons vu.
Bref, en termes d’anticipation, de volume et d’ambition, chers élus, et devant l’ampleur des transformations énergétiques à mener, ce n’est pas de la fierté mais de la gêne que j’éprouve en lisant votre affirmation fanfaronne que nous pissons le plus loin.
Par ailleurs, au fond, quel est l’intérêt de l’électrique? Je note soulagé que l’on évite ici la mention « zéro émission », pourtant souvent entendue dans les diverses communications amiénoises. Cette mention omet en effet de tenir compte de l’ensemble du cycle de vie du réseau et de la source d’énergie utilisée pour produire l’électricité. En termes de CO2, l’ADEME estime qu’en France, si l’électrique est certes le meilleur compromis pour les réseaux de bus en secteurs urbains denses, les émissions par passager et par kilomètre restent non négligeables, avec 20 g pour un bus électrique contre 60 à 100 g pour un bus diesel. Or, à force d’afficher des messages simplistes, on pourrait imaginer qu’un bus électrique est neutre en termes d’émissions, ainsi a fortiori que l’ensemble du réseau amiénois.
Autre intérêt de l’électrique, en ville: moins de bruit et de gaz de combustion polluants localement émis. Pourtant, il faut bien garder en tête que le besoin en énergie demeure globalement inchangé. Pour rappeler quelques chiffres de base, en France, les énergies fossiles représentent aujourd’hui les 3/4 des sources d’énergie, notamment dans le secteur des transports. L’électricité représente le dernier quart, essentiellement d’origine nucléaire. Le déploiement des énergies renouvelables pour la production d’électricité est difficile, malgré des ambitions très affichées. Il faut donc convenir que le choix d’une conversion à l’électrique pour le secteur du transport, c’est d’abord miser sur un développement du nucléaire. Mais cet engagement central est rarement soulevé, peut-être par mauvaise foi, probablement davantage par surestimation des capacités de développement des énergies renouvelables et sous-estimation des quantités d’énergie en jeu. Or, l’honnêteté de nos décideurs devrait les conduire à maîtriser un minimum ces enjeux et à assumer dans leurs communications ce choix du nucléaire.
Un effet indésirable de la réduction des nuisances urbaines par le passage à l’électrique, par transfert à d’autres contrées des désagréments inhérents à toute production d’électricité, c’est le risque que les moyens de cette production fassent l’objet de moins de réclamations, donc de moins d’exigences. Ce que l’on constate pour les éoliennes: propres mais nouvelles et visibles, elles font l’objet de toutes les contestations, tandis que les centrales thermiques ou nucléaires, lointaines, ronronnent dans une relative tranquillité.
Bref, réjouissons-nous de l’électrification des bus amiénois. En revanche, faites preuve d’honnêteté dans vos choix et dans vos communications, chers élus, afin que nous puissions assumer sans fausse gloire nos engagements collectifs pour un avenir soutenable.
[1] – Art. 37 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte