Le ruissellement

Les ruissellements, qui contribuent aux pollutions des eaux, sont souvent négligés dans les espaces agricoles, et mal abordés dans les documents d’urbanisme communaux.


Je garde en tête un cas de figure rencontré il y a quelques années. Face au débordement récurrent de son réseau enterré d’eaux pluviales, une commune rurale, de taille moyenne, nous avait demandé une étude des causes et solutions envisageables.

Cette commune était située en contrebas (aval) de terres agricoles, ce qui ne simplifie pas les choses, et le réseau qui posait problème recevait aussi la partie amont d’un petit cours d’eau, busé depuis plusieurs décennies au centre d’un espace bâti.

Quels problèmes pose un débordement de réseau, et plus généralement toute accentuation des ruissellements sur un territoire?

Au premier abord, pour le témoin lambda, l’eau qui ruisselle sur une route ralentit les voitures, gêne un peu les déplacements, et après quelques temps tout rentre dans l’ordre. L’impératif de prévenir ces ruissellements n’est pas une évidence pour la plupart d’entre nous, ce qui tempère notre volonté d’agir.

Ces ruissellements peuvent aussi causer des dommages aux riverains, générer des coûts de pompage, de balayage, de remise en état. Le dépit opère souvent, accusant la nature et le climat. Quelques mesures ponctuelles et improvisées sont parfois prises pour montrer qu’une réponse est apportée. Des bordures, des fossés, des avaloirs. Canaliser, pour vite amener l’eau plus loin.

Mais plus encore, ces ruissellements entraînent vers l’aval, dans un temps court, un bon nombre de polluants présents sur le bassin versant. Hydrocarbures et métaux lourds sur les voiries, engrais et produits de traitement dans les cultures… Avec les précipitations ordinaires, ces polluants sont dans une certaine mesure dégradés ou traités via le sol et la végétation en place, ou les ouvrages de gestion existants. Ce qu’un débit excessif ne permet plus. Et c’est la nappe ou les cours d’eau qui en font les frais. Loin des yeux…

Vallee de la Somme
La richesse écologique des milieux humides, ici la vallée de la Somme, dépend de la qualité de ses eaux, issues des eaux souterraines et des eaux de ruissellements, toutes tributaires de nos aménagements (photo CD80)

Les ruissellements sont donc responsables d’une grande part des pollutions des nappes et des cours d’eau, et par extension des milieux naturels qui y sont attachés. Et les coupables sont, en premier lieu, nos aménagements.

Premières causes des ruissellements

Dans le cas de ma commune rurale, il y a d’abord une absence de gestion du risque de ruissellement dans l’espace agricole amont. Les cultures sont en pente vers l’espace urbanisé dont le réseau enterré collecte directement les ruissellements. Pas de haies perpendiculaires aux pentes, peu de talus, pas d’espaces tampon, pas d’aménagements de stockage et d’infiltration, pas de cohérence dans le sens des parcelles… Bref, dans les territoires agricoles, l’imprévisibilité de la nature a bon dos lorsque le risque de ruissellements n’est pas pris en compte.

Ruissellement dans un espace cultivé (photo BRGM, DDT60)

Dans ma commune rurale, comme dans beaucoup de communes, il y a aussi l’extension et l’intensification de l’urbanisation. Qui augment le nombre de personnes exposées aux risques, certes, mais aussi qui augmente les apports de ruissellements. Quand bien même le PLU (document d’urbanisme) semble souhaiter le contraire.

Parlons d’abord des eaux de toitures. Dans le bâti ancien, on se souciait peu d’envoyer sur la rue les eaux de toitures. Pour une maison de 100m2 et 700mm de pluies à l’année, ça fait tout de même près de 70m3 rejetées par an, et près de 5m3 pour une grosse pluie. Or, par comparaison, dans un milieu naturel, quasiment toute l’eau reçue s’infiltre sur place.

Les PLU dont j’ai eu connaissance imposent généralement d’infiltrer sur place les eaux pluviales de toute nouvelle construction, lorsque c’est possible. On pourrait donc penser que le problème est résolu. Mais nous n’y somme pas.

D’abord, la formulation des articles relatifs à l’assainissement pluvial des règlements de PLU n’est pas toujours claire. Ensuite, les PLU s’adressent généralement aux nouvelles constructions, et pas à l’existant. Enfin, les règles d’un PLU ne sont pas toujours complètes, pas toujours connues, et pas toujours suivies. Je constate par exemple un grand nombre d’allées de garage, imperméabilisées, directement pentées vers la rue, sans aucun aménagement de collecte et d’infiltration des eaux.

Une imperméabilisation démesurée des abords d’une maison (vue Google street view 2012)

Le PLU a-t-il évoqué ces imperméabilisations hors constructions? Les habitants ont-il déclaré leur aménagement?

Pour une maîtrise des ruissellements en milieu urbain

Les règles d’urbanisme doivent être complètes pour limiter l’imperméabilisation de tout aménagement et imposer tant que possible l’infiltration sur place.

Les règles d’urbanisme doivent être claires pour être applicables.

Enfin, il n’y a pas de règle pertinente sans constat de leur application. Il est nécessaire que le Maire, dont c’est la compétence, constate les infractions et le fasse savoir.

Lecture du règlement de PLU de ma commune de résidence (mai 2019)

Je quitte notre commune rurale pour aborder le règlement du PLU de ma propre commune de résidence. Notez que cette lecture est une appréciation personnelle qui peut être discutée, critiquée, complétée. À chacun de se faire son propre avis.

Extrait du PLU de ma commune, pour illustration

Article UB 4 : Desserte par les réseaux [secteur ancien]
4.2. Assainissement
b) Eaux pluviales
L’écoulement et l’absorption des eaux pluviales doivent être garantis par les aménagements nécessaires, qui sont à la charge exclusive du propriétaire, devant réaliser les dispositifs adaptés à l’opération sur son propre terrain.

Ce passage pourrait être plus clair :

  • Mentionner « l’écoulement » n’est peut-être pas utile, dès lors qu’on parle d’absorption de toutes les eaux du terrain, et que cela implique de fait de guider les écoulements en direction des dispositifs d’absorption.
  • Deux termes sont utilisés pour exprimer la même chose: « aménagements nécessaires » et « dispositifs adaptés à l’opération ». Pas simple pour s’y retrouver.
  • Il n’est pas clair que l’origine des eaux à gérer soit effectivement celles issues de l’ensemble du terrain. On pourrait penser qu’il ne s’agit que des eaux de toitures, faute de précision; il semble en tout cas que ce soit la lecture ordinaire qui en est faite.
  • On parle ici de « terrain » alors qu’en fin d’article on parle de « parcelle », la distinction pourrait être précisée. S’il n’y a pas de distinction, le même terme pourrait être utilisé.

Ce passage semble exclure tout renvoi d’eaux pluviales en dehors du « terrain » d’un propriétaire.

Pour dire la même chose, on pourrait proposer comme rédaction: L’absorption des eaux pluviales issues d’un terrain doit être garantie par des aménagements adaptés, sur ledit terrain, à la charge exclusive de son propriétaire.

La formule pourrait aussi être complétée, dire si le bâti existant est concerné, préciser la période de retour de précipitation à prendre en compte, proposer une alternative en cas d’impossibilité (rejet à débit limité).

L’aménageur doit prendre toutes dispositions pour garantir une qualité des eaux compatible avec le respect de la qualité des eaux de surface ou souterraines.

OK (voir plus loin).

La gestion des eaux pluviales se fera à la parcelle.

Cette mention est claire, certes.

Toutefois, comme semble aussi l’indiquer la première mention de l’article, elle est trop restrictive: rien ne doit sortir de chaque parcelle. Même si c’est impossible, même si c’est de l’ancien, même si on a l’orage du siècle, même si on a une gestion des eaux pluviales commune à plusieurs parcelles.

Cette disposition trop restrictive implique donc de fait de nombreuses infractions. Et quand l’infraction est ordinaire, la loi dans son ensemble n’est plus prise au sérieux. Quoi que, ici la disposition est rédigée au futur… sans date d’application!

Article UC 4 : Desserte par les réseaux [secteur récent]
4.2. Assainissement
b) Eaux pluviales
Pour toute nouvelle construction, le réseau public d’écoulement des eaux pluviales ou usées et le fil d’eau ne doivent pas recevoir des eaux pluviales provenant des propriétés privées.

Là, sont inclus les allées de garage, trottoirs et autres surfaces générant des ruissellements.

Les extensions de l’ancien sont-elles de nouvelles constructions? L’imperméabilisation d’une voie de garage sur parcelle déjà bâtie constitue-t-elle une nouvelle construction? Si la réponse est non, alors pourquoi exempter ces nouvelles imperméabilisations de cette obligation?

L’écoulement et l’absorption des eaux pluviales doivent être garantis par les aménagements nécessaires, qui sont à la charge exclusive du propriétaire, devant réaliser les dispositifs adaptés à l’opération sur son propre terrain.

Ici, la phrase précédente indique que l’on parle des nouvelles constructions. Le terme « opération » semble donc ici se référer à ces « nouvelles constructions », et non plus, comme dans l’article UB4, à l’écoulement et à l’absorption. Sans changer grand chose, cela brouille encore un peu la lecture.

L’aménageur doit prendre toutes dispositions pour garantir une qualité des eaux compatible avec le respect de la qualité des eaux de surface ou souterraines.

RAS, sinon qu’il faudrait plutôt parler d’objectifs de qualité.

Sans quoi, que signifierait respecter une qualité si elle est mauvaise?

En outre, en la matière, plus on en fait, mieux c’est. Si mon rejet respecte sans plus les objectifs de qualité du cours d’eau récepteur qui, lui, ne les atteint pas encore, peut-on considérer qu’il est compatible avec le respect de ces objectifs? Mon rejet pourrait contribuer davantage à l’atteinte de ses objectifs par le cours d’eau récepteur en dépassant lui-même davantage que ses objectifs. Désimperméabilisation, végétalisation, infiltration… Si les aménageurs devaient vraiment prendre « toutes les dispositions » pour garantir la qualité des eaux, alors ils ont encore un peu de marge pour exprimer leurs talents.

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