« Une ville autonome en énergie d’ici 2050. L’ambition de la Ville et d’Amiens Métropole est à la hauteur du réchauffement climatique et des enjeux de la transition énergétique »
JDA n°926, le 16 octobre 2019.
« Amiens ambitionne l’autosuffisance énergétique pour 2050 »
La Tribune, le 5 novembre 2019.
« Amiens et sa politique énergétique : vers le zéro déchet et l’autonomie énergétique »
Europe 1, le 20 janvier 2020.
L’ambition dans sa forme.
À lire la presse, celui qui déplore d’ordinaire le manque d’ambition des projets publics devrait être ravi.
Pourtant, je redoute ici une ambition d’affiche sans projet concret. En effet, j’observe l’insuffisance des réponses apportées ces dernières années, par les mêmes ambitieux d’aujourd’hui, dans les projets déjà réalisés. Puis, nous sommes en 2019, à la veille des élections, et on nous annonce qu’à l’avenir nous deviendrons vertueux.
S’il s’agissait uniquement de tactiques électorales, ça serait seulement triste. Mais ce qui me fâche, et qui justifie cette page, c’est que cette ambition d’affiche, exprimée au futur, et dont le contenu semble bien pauvre, est présentée comme seule réponse à des enjeux fondamentaux.
« Cette ambition d’Amiens et de son agglomération à devenir la première ville autonome en énergie d’ici 2050 n’est pas de la communication, mais un projet parfaitement accessible dans sa mise en œuvre», aurait déclaré notre président d’agglomération [1].
Sans être de la communication, il y a sacrément de moyens déployés pour diffuser le message de cette « ambition » amiénoise. Des articles de presse, un site internet dédié [2], qui agglomère tous les mots clés positifs d’un bon référencement: engagement, dynamique, chaîne de valeur, stratégie, faire modèle, cluster, atout, outils, innovation, programme, projet! Vision! J’ai connu des projets plus concrets mais moins glamour dont la communication a fait l’objet de moins d’attentions.
Donc bien-sûr, qu’on est en pleine communication. Rien de mal à communiquer d’ailleurs, au contraire, particulièrement sur des projets publics. Peut-être qu’ici, vous en défendre ajoute au doute sur la réalité de ce qui est communiqué. Par ailleurs, un brin de nuance apporte généralement de la crédibilité à un message, si je peux oser la remarque.
Mais vous vouliez probablement dire que tout cela n’est pas que de la communication. Admettons. Voyons donc de quoi il retourne.
L’ambition dans son contenu.
Je lis à l’accueil du site https://energeia.amienscluster.com, qui semble être la référence sur la question, qu’Amiens se base sur son réseau de chaleur, sur ses bus électriques, qu’elle mise sur le solaire, la méthanisation, et sur des solutions technologiques qui restent à inventer.
Concernant le réseau de chaleur, notons bien que ce n’est qu’un vecteur, et qu’il ne règle pas le besoin initial en énergie. Certes, il permet une certaine souplesse dans le choix des sources et facilite le recours à des énergies alternatives. Aujourd’hui, l’objectif d’alimenter 20.000 foyers, pour le chauffage uniquement, dont 3/5 à partie d’énergies renouvelables/récupérables, semble toutefois fort modeste dans une agglomération de 200.000 habitants, auxquels il faut ajouter les besoins des industries et des autres activités. Par ailleurs, quelle est l’origine du bois de chaufferie pour notre autonomie?
Concernant les bus électriques, là encore, l’électricité n’est qu’un vecteur, qui ne règle rien au besoin initial en énergie. Certes, l’électricité permet d’envisager un recours à différentes sources, potentiellement renouvelables, contrairement aux véhicules thermiques classiques. Pourtant, multiplier les vecteurs fait généralement perdre du rendement: cela augmente la quantité d’énergie à produire en amont pour la même quantité restituée.
Par ailleurs, dire qu’un appareil électrique, un bus en l’occurrence n’émet pas de CO2, ça oublie d’abord les incidences de la production de l’électricité: déchets et risques radioactifs, CO2 émis par les centrales thermiques,… Ça néglige aussi que des centrales nucléaires, soit 80% de notre électricité nationale, c’est du béton, de la chimie, du transport, de l’extraction, etc. Et que tous ces impondérables de cette production électrique supposée « décarbonée », sont chacun émetteurs de CO2, si l’on considère de manière responsable l’ensemble des procédés.
Qu’en est-il des bus au biogaz? Du CO2 sort de leurs moteurs, certes, contrairement aux moteurs électriques. Mais le bilan énergétique global ne leur est-il pas favorable? Probablement.
Concernant le solaire, je lis qu’au chemin de Vauvoix il faut un terrain de 18 hectares pour produire l’électricité actuellement consommée par 10.500 habitants. Or, en France, l’électricité ne concerne que le quart de l’énergie consommée. Par ailleurs, ce terrain est l’une des rares friches de l’agglomération, où se développe librement ces dernières années une biodiversité croissante, comme on le suppose sur la vue aérienne par la végétation qui s’y développe.

Cette ferme solaire représentera donc 1,2% de l’énergie consommée par les 200.000 habitants de la métropole, hors activités. Tout en prélevant une emprise foncière dont on minimisera probablement l’intérêt écologique, avançant que 2 ruches et 3 moutons associés au projet seront les gages d’un projet vertueux pour la nature.
Ceci dit, sur le territoire amiénois, le solaire semble pouvoir être exploité sur beaucoup d’espaces, notamment les toitures. Mais jusqu’ici la Métropole semble avoir ignoré dans ses actions cette possibilité (toitures d’équipements sportifs, d’espaces commerciaux, d’Amazon, etc, dont le développement a été porté ou soutenu par la Métropole), ne la mentionnant aujourd’hui que dans ses intentions. Le plus vraisemblable est que la Métropole est simplement impuissante sur la question, sans vouloir l’admettre.
Concernant la méthanisation, quelles matières fermentescibles, issues de l’agglomération, peuvent être exploitées pour tendre vers l’autonomie, sans compter celles qui le sont déjà? A priori il faudrait en importer d’ailleurs que de la seule agglomération. Par ailleurs, peut-on estimer d’un côté qu’il s’agit d’une énergie propre, et inciter ailleurs à développer les élevages intensifs ou autres activités productrices de déchets fermentescibles, à base d’intrants eux-mêmes énergivores, pour les alimenter?
Concernant les solutions d’avenir qui n’existent pas encore…

D’après Retour vers le futur II : le moteur à fusion pour voiture Delorean
Trêve de galéjades. On stockera probablement mieux l’énergie, mais il restera toujours à la produire.
Une infographie en pdf (image suivante) émise par Amiens mentionne 2 chiffres cependant essentiels pour atteindre cette autonomie énergétique annoncée:
- réduire de 62% la consommation,
- multiplier par 7 le recours aux énergies renouvelables.

J’ignore si le calcul aboutit à une autonomie dans 30 ans, mais pourquoi pas, ça ne semble pas aberrant.
En revanche, les pistes affichées, autres que celles déjà évoquées, sont-elles, elles-aussi, bien réalistes? Quelques exemples:
- +400GWh par an pour le solaire. Sachant que la ferme du chemin de Vauvoix vise 12 GWh annuel sur 18 ha [3], l’objectif implique de couvrir de panneaux solaires près de 33 fois (400/12) la surface de 18 ha tous les ans pendant 30 ans soit 17.820 ha. Ou 178 km2, soit la moitié de la superficie de la métropole, toutes surfaces confondues.
Ou bien les chiffres annoncés sont erronés, ce qui est souvent le cas en matière de grandeurs énergétiques, et peut témoigner d’une regrettable méconnaissance du sujet, ou bien l’objectif est donné en connaissance de l’impossibilité de l’atteindre, dans l’espoir que personne ne cherchera ce qu’il représente.
Ceci dit, si avec 12GWh annuels on couvre 1,2% des besoins des habitants, hors activités, avec 1000GWh on devrait en couvrir 100%. En conséquence, c’est l’objectif de +400 GWh par an pendant 30 ans qui semble excessif. - Développement de l’éolien: l’objectif de la Région, à l’encontre des objectifs nationaux, est clairement de suspendre le développement des projets éoliens. À Amiens et aux abords, le développement est très limité pour des raisons historiques (sites du souvenir de la guerre) et patrimoniales (monuments amiénois). À Amiens, l’adjointe au Maire à l’environnement, entendue à l’inauguration d’un site de développeur éolien, a elle-aussi exprimé sa réticence à son développement.
- Réduire de 50% les consommations d’énergie des industries en 30 ans? Y’a qu’à, mais j’attends de voir. Quelles compétences a une agglomération pour influer sur des procédés industriels? A priori aucune. Comment concilier cette baisse drastique tout en soutenant le développement de nouvelles activités? Certains n’y verront pas de contradiction.
Quoi conclure
Souligner l’écart entre ce qui aurait dû être déjà fait et ce qui n’est qu’annoncé n’avancerait pas à grand chose s’il s’agissait de pure contestation. En revanche, montrer l’insuffisance et les incohérences d’un projet politique est nécessaire pour inciter à l’ajuster et à l’adapter au mieux aux nécessités d’un monde durable. Accessoirement, cela peut éclairer chacun sur le choix à faire aux prochaines élections.
Les principales actions annoncées comme étant déjà menées, à savoir le réseau de chaleur, les bus électriques et le soutien à la recherche, ne résolvent pas le besoin d’énergie, bien qu’elles permettront à leur échelle d’en varier les sources.
Pour autant, les 2 grands axes de développement affichés sont essentiels: réduire nos consommations, et recourir aux énergies renouvelables. Ce n’est d’ailleurs pas une question d’autonomie, qui n’a pas vraiment de pertinence en soi, la production d’énergies pouvant être mutualisée sur plusieurs territoires, mais un impératif de développement responsable, ou durable.
Mais la liste affichée de ce qu’il faudra faire, ou plutôt de ce qu’il aurait fallu faire depuis longtemps, omet le sujet central que tout politique esquive: notre « croissance » ne peut pas se poursuivre à l’infini. Se « développer » sans prélever de terres supplémentaires, en ayant besoin de moins d’énergies? C’est d’évidence impossible et c’est à l’inverse que l’on assiste. Mais chacun préfèrerait appuyer sur le frein après ses voisins, se contentant de temporiser pour transmettre la patate chaude à son successeur.
Maintenant, chère Métropole, c’est vous ma source d’informations. Malgré votre effort de communication, auriez-vous omis de nous donner accès à un détail plus concret? Je suis preneur, et partant pour moduler mes conclusions en conséquence.
Pour l’heure, administré spectateur de ce que vous affichez, je perçois ceci: vous papotez, vous vous félicitez entre décideurs bien-pensants autour de petit fours offerts par le contribuable, dans une sorte de monde parallèle déconnecté des impératifs environnementaux de notre monde réel.
D’hier, on se souvient des bâtisseurs. Mais l’Histoire change. Demain, c’est au regard de ce que vous n’aurez pas fait pour un avenir durable que vos noms seront rappelés.
Chers élus, c’est dans chacune de vos décisions qu’il est nécessaire que vous intégriez pleinement, les solutions les plus complètes à ce développement durable. Hic et nunc, dès maintenant, sans attendre!
[1] https://rev3.fr/amiens-entend-devenir-une-ville-autonome-en-energie/
[2] https://energeia.amienscluster.com/
[3] https://www.amiens.fr/Actualites/Une-place-au-soleil
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Ping : Courrier à Monsieur Gest et Madame Fouré, 21 octobre 2021 | DAVID BONDUELLE