Cliiink à Amiens Métropole : quelle efficacité pour quels objectifs ?

Système de gratification du geste de tri du verre, Cliiink a été généralisé à Amiens Métropole. Son premier objectif, affiché, est de réduire la part de verre non trié. Toutefois, son efficacité reste à démontrer. Et avant cela, en matière de déchets, la réduction à la source doit prévaloir, ce à quoi les systèmes de gratification, tel que celui-ci, n’incitent pas.

Cliiink est un système attribuant des points à quiconque dépose ses contenants en verre dans un conteneur équipé, après s’être inscrit gratuitement. Ces points peuvent ensuite être convertis en bons de réduction dans certains commerces partenaires [1].

Le but escompté est de réduire la part de verre non trié. En effet, le verre qui peut théoriquement être recyclé à l’infini ne l’est effectivement qu’à près de 85% en France en 2019 [2]. D’après Amiens Métropole [3], il serait plus faible dans l’agglomération (environ 72%).

La part de verre non trié est toutefois relativement faible, comparativement aux autres types de déchets. Ainsi, si l’opération contribue à inciter ceux qui jetteraient d’ordinaire leur verre ailleurs que dans les containers, la part gagnée pourrait être assez marginale. Mais, après tout, toute avancée est bonne à prendre.

Au passage, l’outil de communication Cliiink est bien utile à la Métropole pour afficher ce que l’on peut percevoir comme un dynamisme de sa part en matière de déchets.

Un autre effet positif de l’opération, c’est aussi de faire connaître des commerces, dont certains peuvent tendre vers un fonctionnement vertueux en termes d’incidence environnementale. Le développement économique est d’ailleurs la première motivation affichée par certaines collectivités.

Voilà pour l’intérêt du truc. Maintenant, j’y vois plusieurs limites, et surtout un net contresens.

D’abord, pour 315 000 euros d’argent public [3], quelle est la carotte proposée à Amiens? La gamme des « avantages » accessibles avec les points mêle des offres commerciales pas très essentielles à de rares boutiques bio qui on l’utilité d’apporter leur image vertueuse à l’opération. Une gamme pas très incitative.

Ensuite, le côté pratique est discutable : sortir un smartphone au moment de jeter son verre, ou aller en mairie chercher une carte à prendre sur soi à chaque dépôt, le tout pour gagner quelques centimes à dépenser dans des trucs pas nécessairement utiles, c’est assez dissuasif. Toutefois, certains évoquent le côté ludique de l’opération.

Il faudrait d’ailleurs étudier cette question: ceux qui ne trient pas leur verre sont-ils les mieux équipés en smartphones? Sont-ils les plus disposés à se rendre dans les mairies? Ce n’est pas certain. Et surtout, sont-ils ceux qui souhaitent le plus s’encombrer avec de nouvelles démarches à faire? Instinctivement, je penserais le contraire. La meilleure motivation, pour trier comme pour ne pas trier, c’est la simplicité.

Au-delà de ces doutes, l’incitation à recycler par l’incitation à consommer relève d’un véritable contresens. En effet, il ne suffit pas de recycler les matières pour résoudre tous les problèmes liés aux déchets. En particulier, recycler demande de l’énergie, tant pour la collecte et le transport que pour la fusion de la matière. Et cette énergie, elle est d’abord d’origine fossile et nucléaire, avec les inconvénients qui vont avec.

Pour réduire les problèmes liés aux déchets, c’est donc d’abord une réduction qu’il faut viser. Et réduire, c’est inciter à moins consommer, en écartant l’inutile. Proposer une incitation pour produire des déchets (plus on achète en emballages en verre, plus on peut en apporter et gagner de points, et plus on peut consommer…) va à l’encontre de ce premier objectif de réduction.

En récompensant la quantité recyclée, Cliiink incite à la consommation de produits emballés, au détriment de l’objectif premier de réduction.

Mais, de même qu’un développement économique se conçoit encore peu sans consommation foncière, il se conçoit encore mal sans consommation de produits emballés. Un avenir avec emballages assortis de recyclage est donc actuellement le seule modèle concevable pour une collectivité.

Au passage, est-ce un développement ou un équilibre qu’il faut viser? Pour ma part, ce n’est pas une question, c’est une évidence que nos décideurs semblent incapables d’accepter.

Quoiqu’il en soit, avec Cliiink, pour tous ceux qui partagent déjà l’effort de réduction des quantités de déchets, il nous en faudra du temps avant d’obtenir nos premiers bons de réduction.

La récompense n’est donc pas attribuée aux plus méritants, ce qui n’est pas juste.

Et qui pourrait décourager.

Je remercie Mme Valérie S.M., chargée de développement du tri de l’Agglomération grenobloise, collectivité qui a mis fin en décembre 2020 à deux années d’expérimentation Cliiink [4], d’avoir pris le temps d’un échange avec moi sur ces questions, et qui m’a permis de mettre à jour en mars 2021 cet article initialement rédigé en décembre 2020.
Elle m’a expliqué notamment que, si la collecte de verre a effectivement augmenté dans les bornes équipées, cela est dû notamment à la « dérive », avec des personnes qui abandonnent les bornes non équipées pour se tourner vers les bornes équipées, et aux « microcollecteurs », personnes qui collectent le verre autour d’eux, y compris d’autres personnes non intéressées par la gratification, afin de gagner davantage de points. Deux phénomènes difficiles à chiffrer.
L’arrêt de l’expérimentation à Grenoble est justifié notamment par l’échelle trop modeste sur laquelle elle s’est déployée, conduisant à une gamme de gratifications non attractive, puis à un défaut de maintenance des équipements lié à la forte croissance de l’entreprise Terradona à l’origine du système, induisant une lassitude des usagers, et enfin au coût élevé du système rapporté au nombre d’utilisateurs.
Notons que l’Agglomération grenobloise avait engagé l’expérimentation en connaissance des arguments en faveur comme en défaveur de la gratification du geste de tri.

A priori, il n’existe pas aujourd’hui de retour d’expérience pertinent qui justifie l’efficacité du système Cliiink. Je ne le trouve mentionné par l’Ademe qu’en 2018 [5], comme une piste d’innovation parmi d’autres, sans quantification.


[1] Site de téléchargement de l’application à installer sur smartphone
https://play.google.com/store/apps/details?id=com.terradona.Cliiink&hl=fr&gl=US

[2] https://www.citeo.com/le-mag/les-chiffres-du-recyclage-en-france/

[3] https://www.amiens.fr/Actualites/Le-tri-du-verre-recompense-avec-l-application-Cliiink

[4] https://www.grenoblealpesmetropole.fr/666-experimentation-cliiink.htm

[5] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/equipements-innovants-collecte-201804-synthese.pdf

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