Ce mercredi 3 août, à Berck-sur-Mer, il fait bon, le vent souffle. Les vacanciers lézardent, les vacanciers barbotent, par centaines, par milliers.

En fin d’après-midi, la mer descend, s’éloigne vite. Elle commence à laisser place à ces grands espaces de sable mouillé, qui font la renommée de la côte, vite investis par les bâtisseurs de châteaux et autres joueurs de plage.
L’eau est bonne. Les vagues ont assez d’allure pour prendre plaisir à s’y laisser porter. À un moment, un peu surpris, je n’ai plus pied. Les amis regagnent la plage, je reste quelques instants.
Soudain, j’entends une petite voix. « Aidez nous ». Je me retourne. Deux fillettes en brassards gonflables sont chahutées elles aussi par les flots. La plus proche, lunettes aux yeux, semble me sourire. Elles doivent s’amuser. Je n’aperçois personne aux alentours.
« Au secours, on n’arrive pas à revenir ». Cette fois je les rejoins, m’éloignant de la côte. « Qu’est-ce qui se passe? » « On n’arrive plus à revenir vers la plage, aidez-nous ». « Vos parents sont là? » « On n’a pas de parents ». Je conclue que les personnes que l’on aperçoit dans l’eau côté plage n’en sont pas responsables, et je leur demande de se tenir la main pour pouvoir les ramener.
Mais je me souviens des courants qui entrainent les nageurs vers le large et contre lesquels il ne faudrait pas lutter. Et déjà, j’ai l’impression pénible, d’une main, de ne pas avancer. Après quelques efforts, mes muscles se fatiguent. Avec les vagues, les fillettes boivent des tasses.
J’appelle à l’aide en direction des gens les plus proches. Mais on ne m’entend pas.
La plage est noire de monde, mais on ne m’entend pas.
J’essaie de nager mieux, plus vite, mais rien ne semble y faire. S’il y a bien un courant qui nous entraîne, je perds mon énergie à lutter contre lui. Je m’épuise. Elles ont des brassards, moi pas. Je m’inquiète pour moi. J’appelle encore, et encore.
Enfin, un homme se retourne. Le temps de comprendre, et il nous rejoint. « Je n’y arrive plus, elles se sont laissées emporter, j’essaie de les ramener vers la plage ». « J’en prends une, dit-il ».
« Il faut que je tienne », je me dis, lorsqu’un canot à moteur se fait entendre. J’ai l’air con. Si proche de la plage, et je demande encore de l’aide. Mais, à l’instant où le secouriste me propose d’emmener la jeune fille, mon pied touche enfin le fond. Je ne pouvais pas faire plus.
Hors de l’eau, la mer, la plage, les gens, tout tourne autour de moi. Mes jambes tremblent. Non loin, j’aperçois les deux fillettes aux brassards rejoindre une dame. Une main en visière, l’autre sur la hanche, elle scrutait la mer du regard, dans une autre direction.
Et si personne ne m’avait entendu.
En y repensant plus tard, l’option de repartir seul vers la plage puis d’appeler les secours aurait pu être préférable. Car avec leurs brassards, les enfants auraient pu attendre, pendant que, seul, je n’aurais pas été ralenti. Je lis à ce propos qu’il est arrivé, dans le secteur, qu’un nageur venu porter secours soit mort avec la personne qu’il voulait aider. Mais dans l’instant, quand on ressent la difficulté, la fatigue est déjà là, le danger n’est pas clairement perçu, et l’idée d’abandonner ceux que l’on est venu aider n’est pas une évidence.
En y repensant plus tard, il est possible aussi que les secours distinguent toutes ces situations de mise en danger depuis leur poste d’observation, et qu’il me suffisait alors de patienter jusqu’à leur arrivée. Mais d’abord je n’ai pas un instant pensé à eux jusqu’à l’approche du canot à moteur, ensuite j’ignore si l’on était en zone surveillée, enfin il n’est pas exclu que certaines situations échappent à la surveillance de quelques sauveteurs aussi vigilants soient-ils.
En y repensant plus tard, enfin, j’aurais dû raconter à cette dame la mésaventure de ces deux jeunes filles, pour m’assurer qu’elle ait compris le danger invisible de ces courants. Mais, sur le moment, je ne pensais plus à grand chose d’autre qu’à mon soulagement.
Tandis qu’au même moment, les vacanciers lézardaient, les vacanciers barbotaient, le temps d’un moment à la plage, à Berck-sur-Mer.