Courrier à M. Bienaimé, 4e adjoint au maire délégué à la Nature en ville, la Santé, la Transition écologique et la Promotion du vélo.
M. Bruno BIENAIMÉ
Adjoint au maire d’Amiens
à Rivery le 21 septembre 2023
Monsieur Bienaimé,
Vous avez animé hier une rencontre sur le pacte de transition écologique d’Amiens et je vous en remercie.
Chaque intervention était suivie d’une rapide séance de questions, nécessairement trop courtes pour pouvoir aller au fond des sujets. Il y a pourtant plusieurs points qui me semblent devoir être amendés, comme vous proposiez qu’on le fasse hier, voire corrigés, pour être pleinement constructifs comme vous le souhaitiez.
Pour ma part, habitant d’Amiens puis aujourd’hui de Rivery, après des études de biologie et un master en environnement, j’ai travaillé près de 15 ans en bureaux d’études en environnement, à la réalisation notamment d’études d’impacts pour différents projets d’aménagement.
1. Autonomie énergétique
Amiens et Amiens Métropole se fixent comme objectif l’autonomie énergétique à l’horizon 2050. Pour être constructif, il serait essentiel de quantifier correctement cet objectif afin que chacun comprenne ce qu’il reste à accomplir.
Car vous avez évoqué le réseau de chaleur et ses 25.000 logements raccordés, et la centrale photovoltaïque et ses un peu moins 10.000 habitants équivalents raccordés, puis additionné 10 + 25 en affirmant avec optimisme que l’on s’approchait petit à petit des 135.000 habitants d’Amiens.
Mais ce calcul est très largement faux.
D’abord, additionner des habitations raccordées à un réseau de chaleur avec des habitants équivalents raccordés à une source d’électricité n’a aucun sens : les données additionnées ne sont pas de même nature.
Ensuite, comme évoqué hier, la population alimentée par la centrale photovoltaïque est comptée hors chauffage. Or, en France, le chauffage représente 2/3 de la consommation d’énergie des ménages, et est électrique à 40% [1]. Par ailleurs, en France le secteur résidentiel ne concerne qu’1/3 des consommations énergétiques [2].
Cette centrale solaire produira donc moins de 1% de la consommation énergétique finale actuelle d’Amiens (et d’Amiens Métropole).
Concernant le réseau de chaleur, il s’agit d’un vecteur, pas une source d’énergie. S’il permet d’avoir recours à différentes sources d’énergie, dont a priori 2/3 d’origine renouvelable ou de récupération à Amiens, il reste 1/3 de non renouvelable. Et, ici encore, le chauffage ne représente qu’une fraction de la consommation énergétique finale sur le territoire.
Pour que chacun prenne pleinement conscience de l’effort restant à accomplir, il est important de quantifier l’objectif de production / consommation énergétique amiénois, incluant les objectifs raisonnables de baisse (isolation, efficacité) mais aussi les objectifs d’expansion du tissus urbain (logements, ZAC…), et de rappeler systématiquement cet objectif dès que sont mentionnés les projets d’unités de production d’énergie réalisés et à venir.
2. Arbres
D’abord, un objectif de nombre d’arbres plantés, comme les 4000 arbres annuels dont vous avez parlé, n’a strictement aucun sens s’il est donné sans bilan global des plantations/déplantations sur le territoire.
En effet, chaque année à Amiens, plusieurs milliers d’arbres viennent en remplacement d’arbres morts ou supprimés. Que les nouveaux sujets soient spontanés, offerts par une mairie ou achetés ailleurs, cela ne change rien au bilan boisé global.
Pour être constructif, un dénombrement précis des sujets étant illusoire, ce sont d’abord des surfaces boisées qu’il est nécessaire de mesurer et de comparer périodiquement pour évaluer la réussite ou non des mesures de plantation d’arbres sur le territoire.
Par ailleurs, l’intérêt de l’arbre pour la biodiversité a été hier peu évoqué. Or, si l’on s’alarme de l’érosion de la biodiversité au niveau mondial, c’est parce que la biodiversité est garante de la stabilité des écosystèmes dont nous dépendons fortement. Cette stabilité, dans un lieu donné, est héritée de la longue coévolution des espèces entres elles et avec leur milieu. Et cette stabilité, pour une même espèce, est directement liée à la variabilité génétique de ses individus.
Vous avez donné comme exemple cher à vous un verger conservatoire. Certes, les variétés créées par l’homme, donc hors sélection naturelle, animales ou végétales, sont parfois remarquables et méritent d’être conservées, à titre patrimonial ou pour notre sécurité alimentaire. Toutefois, la sélection artificielle a sorti les variétés concernées des équilibres naturels dans lesquels la biodiversité joue tout son rôle. Plus encore, concernant les variétés de pommiers, le greffage n’est rien d’autre qu’un clonage, qui est l’exact opposé, génétiquement, de la biodiversité. Car, naturellement, chaque individu né de reproduction sexué est différent : pas un arbre d’une forêt issue de semis n’est identique. C’est cette diversité entre individus qui permet aux populations de s’adapter aux modifications de leur environnement, les sujets les plus avantagés se reproduisant davantage que les autres. À l’inverse, tout pommier Jacques Lebel, pour prendre un exemple local, est l’exact clone du sujet initialement créé. Si la variété est sensible à une seule variation environnementale, (maladie, prédateur, réchauffement climatique…), alors c’est l’ensemble des individus qui y est sensible et toute la population qui est menacée.
Ainsi, pour être constructif, et pour que les arbres plantés s’inscrivent pleinement dans la biodiversité de l’amiénois, il serait nécessaire de n’avoir recours qu’à des espèces locales. En effet, les espèces exotiques et horticoles n’ont pas leur place dans les écosystèmes locaux. Pourtant en décembre 2022, l’opération amiénoise « aux arbres citoyens », a proposé des variétés horticoles (hêtre fastigié), exotiques (liquidambar, liriodendron), ainsi que le robinier faux-acacia, une espèce considérée comme invasive notamment à Amiens dans le site Natura 2000 de la vallée de la Somme qui la traverse (Docob p.294) et dans la région voisine d’Ile de France.
Pour la biodiversité, les sujets plantés doivent par ailleurs autant que possible être issus de semis, la reproduction sexuée étant garante de la diversité génétique et donc de la stabilité des populations.
Enfin, vous avez évoqué un rôle central de l’arbre pour le climat, comme composant des îlots de fraîcheur, certes, mais aussi pour le stockage de carbone. Or, sans quantification, rien ne permet d’affirmer ce second point. Pourtant, des ordres de grandeur aisés à établir montrent que le rôle des plantations est négligeable dans le stockage de carbone.
En effet, en France, on émet actuellement environ 9 tonnes de CO2 par an et par habitant [3]. Un arbre, s’il est maintenu en place plusieurs siècles, ou que l’état boisé de son emplacement est garanti pour plusieurs siècles, c’est 10 à 20 tonnes d’équivalent CO2 stocké. Pour compenser les émissions actuelles de CO2 à Amiens Métropole par plantation d’arbres, il faudrait donc annuellement ajouter au territoire 80.000 arbres adultes, soit l’équivalent de 150 hectares de forêt amazonienne, ce qui est illusoire.
De fait, sur nos territoires, le rôle des plantations pour lutter contre le changement climatique par stockage de carbone est anecdotique. D’ailleurs, la replantation de l’ensemble du territoire français ne permettrait de compenser que la perte de carbone causée par sa déforestation, mais pas les émissions supplémentaires de CO2 liées à la combustion des hydrocarbures et du charbon.
Pour être constructif dans l’atteinte des objectifs climatiques amiénois, il est nécessaire de considérer que les plantations sont négligeables au regard de l‘impératif de réduire les émissions.
3. Eau
Les intervenants ont mis l’accent sur la désimperméabilisation nécessaire de nos espaces urbains. Des exemples ont été donnés, notamment de cours d’écoles refaites.
Mais, pour être constructifs dans les propositions de désimperméabilisation, il est nécessaire là encore d’évaluer le gain obtenu par chaque nouvelle opération de désimperméabilisation au regard de l’imperméabilisation globale du territoire, en tenant compte notamment des nouveaux projets d’expansion et de densification urbaine.
En outre, le « guide pour la gestion des eaux pluviales » édité par Amiens Métropole [4] insiste lui aussi sur les techniques alternatives d’assainissement pluvial, y compris dans les espaces publics. Pourtant, on constate peu de tels aménagements dans les opérations de requalification des voiries amiénoises, alors qu’il semble qu’ils soient souvent réalisables [5]. La concrétisation de la parole portée par Amiens et Amiens Métropole est nécessaire, y compris dans leurs propres aménagements.
En conclusion, les mesures évoquées dans le cadre du pacte de transition écologique amiénois ne peuvent pas, pour conclure de leur impact positif, être une simple collection d’exemples de réalisations ponctuelles.
Le gain apporté par chaque réalisation doit être systématiquement apprécié au regard de l’état global du territoire, et évalué périodiquement.
Le colibri que vous avez mentionné n’éteindra jamais de forêt. Mais nous, amiénois, nous pouvons quantifier nos objectifs, et nous devons nous donner les moyens de les atteindre.
Cordialement,
David Bonduelle
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[3] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lempreinte-carbone-de-la-france-de-1995-2021
[4] https://www.amiens.fr/Vivre-a-Amiens/Eau/Amenagements-et-eaux-pluviales
Suite à ce courrier, M. Bienaimé m’a reçu pour échanger en tête à tête dans son bureau autour de ces sujets. Concernant l’optimisme qui me semble excessif concernant l’autonomie énergétique, et au sujet de la communication sur les arbres plantés, M. Bienaimé m’indique que sa position est de « susciter l’envie » et de « ne pas décourager ».